En 1948, Léon Bellefleur signe le manifeste Prisme d’yeux, ajoutant sa voix à celle d’un groupe d’artistes québécois dont le peintre Alfred Pellan est la figure de proue. Publié quelques mois avant le Refus global, le texte met de l’avant l’affirmation d’un art indépendant et ouvert sur les esthétiques les plus variées, où la liberté d’expression a préséance sur les doctrines radicales. L’oeuvre de Bellefleur est révélée deux ans plus tard lors d’une exposition conjointe avec le peintre Fritz Brandtner au Musée des beaux-arts de Montréal, à l’occasion de laquelle une trentaine de tableaux dévoilent « l’inspiration d’un courant surréaliste personnalisé qui traduit l’envers tumultueux des rêves et de l’imaginaire nocturne en formes pulsives et improvisées », écrit Guy Robert. Libéré de ses charges d’instituteur en 1954, Bellefleur entreprend un voyage en France et se dévoue entièrement à son art. La reconnaissance officielle de l’artiste vient en 1968, quand le Musée des beaux-arts du Canada (autrefois nommé la Galerie nationale du Canada) organise une rétrospective qui partira en tournée dans trois musées. En 1977, Léon Bellefleur est le premier lauréat du prix Paul-Émile-Borduas.
Durant les années 1980, plusieurs expositions, publications et collaborations soulignent l’importance de l’oeuvre de Bellefleur, qui poursuit sa lancée alors qu’il franchit le cap des 75 ans. Jusqu’au printemps de 1987, le peintre partage son temps entre ses ateliers d’Outremont et de Saint-Antoine. En octobre 1986, il prend part à une vaste exposition – son 35e solo en carrière – qui réunit une soixantaine d’oeuvres à la Moore Gallery de Hamilton. Comme le souligne Guy Robert, les huiles exécutées à cette époque « conservent les caractères stylistiques que l’artiste déploie depuis une trentaine d’années : couleurs étalées vivement à la spatule, avec raffinement de rythmes et de nuances, puis souvent giclées ou gouttelettes qui fignolent l’improvisation, avec petits signes mystérieux tracés du bout de l’outil ». Le tableau Fleurs fragiles (1986), bouquet exécuté d’une main puissante et assurée avec une parfaite maîtrise de la composition, représente la quintessence de cette expression esthétique longuement mûrie. Cette pièce annonce également la plus vaste et célèbre série du peintre, Des rêves et du hasard (1988), tant par sa composition – qui donne « l’impression d’une scène cosmogonique illuminée de l’intérieur » (Gilles Hénault) – que par sa palette et sa facture distinctives, coiffée d’une délicate aspersion.