Par la danse, par la peinture, par la sculpture, j’ai toujours voulu exprimer une seule et unique chose, avec des moyens différents. L’important était d’être capable d’y intégrer une part d’intuition.
– Françoise Sullivan, Être artiste
Fort contrepoint à la série Océan réalisée un an plus tôt, le présent tableau, intitulé Noir (2006), garde en filigrane le flamboyant polyptyque Rouge nos 3, 5, 6, 2 (1997) ainsi que la facture de la série des Hommages (2003). Comme on peut l’observer dans Noir, ces variations déjouent le binarisme et la monochromie stricts tout en donnant à voir une série de coups de pinceau à la fois réguliers et discrets, « évitant l’expressionnisme d’une gestuelle exacerbée. Cette régularité et l’effet de planéité qui en résulte nous ramènent à la corporalité, souligne Mark Lanctôt. Nous sommes moins devant un champ de profondeur optique que devant une séquence de marques en surface qui créent une présence ». Qui plus est, ce noir brunâtre, mélangé à même la toile au rouge orangé, ne cherche pas à masquer celui-ci, comme en fait foi le rougeoiement qui perce, çà et là, la masse sombre : il semble plutôt en être la conséquence, comme une voix et son écho.
Françoise Sullivan étudie à l’École des beaux-arts de Montréal de 1940 à 1945. Invitée à participer à l’exposition Les Sagittaires organisée par la Société d’art contemporain, en 1943, elle, ainsi que d’autres artistes engagés parmi lesquels on trouve Pierre Gauvreau et Paul-Émile Borduas, assiste aux débuts du groupe d’avant-garde des Automatistes, qui publie le manifeste Refus global en 1948. Sullivan se réinvente sans cesse tout au long de sa carrière, passant de la sculpture à la danse contemporaine et à l’art conceptuel. Nostalgique du travail de la matière, elle entreprend un retour à la peinture dans les années 1980. Ses oeuvres sont empreintes du mouvement et de la sensualité issus de son passé de chorégraphe. À partir des années 1990, Sullivan épure la composition picturale de ses tableaux, dont les vibrations chromatiques et la facture participent intimement du dialogue entre l’artiste et son oeuvre.