Limité à trois couleurs durant toute une décennie, à la fois par défi et par conviction artistique, Serge Lemoyne « s’ouvre [dorénavant] à toutes les couleurs », rapporte Marcel Saint-Pierre, comme dans Sans titre, toile datée de 1982. Les séries Théâtre, Rideau et Super-position, puis Intersection, Triangle et Triangulation, toutes réalisées la même année, donnent lieu à de riches variations entre tachisme et abstraction géométrique, entre espace illusionniste et espace perspectiviste. Ici, les coulures gris clair et rouge vif, indigo et vert forêt se propagent sur les aplats colorés, les rayures, puis les doubles cibles, tels deux hublots de part et d’autre de la toile scindée en deux triangles. Ces traînées de matière sortent même du champ pictural, tout en bas du tableau, suggérant un mouvement ininterrompu, une preuve de sa matérialité, une affirmation de sa fulgurance.
Durant cette période, Lemoyne prépare l’amorce d’un cycle thématique autour de son atelier et, en ce sens, Sans titre est précurseur de la série La maison (1985). Dans Sans titre, on aperçoit divers angles qui rappellent à la fois les coins de mur, de porte ou de fenêtre ainsi que les motifs en balustrade à venir – autant de compositions tronquées, exécutées d’après photographie, qu’il trafiquera avec ingéniosité à l’ordinateur dans ses oeuvres subséquentes. Des tableaux-objets verront le jour et, à l’image de Sans titre, les bordures de leur toile seront peintes et la tridimensionnalité s’imposera davantage, notamment dans la série Hommage aux artistes vivants (1987). Lemoyne cherche constamment à renouveler son vocabulaire pictural grâce à de nouvelles stratégies plastiques, afin de rendre son oeuvre plus accessible, plus populaire et plus singulière.
Pièce rare du répertoire de Lemoyne, Sans titre est une occasion unique à saisir pour les collectionneurs et collectionneuses aguerris.