Le mythique numéro 10 des Canadiens de Montréal, Guy « Flower » Lafleur, a été intronisé au Temple de la renommée du hockey en 1988. Comme plusieurs joueurs étoiles du Tricolore, Lafleur occupe une place privilégiée dans la série Bleu, Blanc, Rouge (1969‑1979) de Serge Lemoyne, réalisée dans les années 1970 alors que le club enchaînait les coupes Stanley et les saisons légendaires. Lemoyne s’est approprié le phénomène afin d’élaborer des tableaux emblématiques qui empruntent à divers courants esthétiques, du pop art aux Automatistes, en passant par les Plasticiens et l’École de New York. La figure sportive, réduite à son essence, a ainsi servi de tremplin aux préoccupations picturales de cet artiste qui cherchait à inscrire l’art dans la culture populaire.
Le no 10, Lafleur (1975) vole la vedette dans la série grâce à la présence du maillot rouge, du short bleu et des bandes blanches ; des figures parfaitement composées et suffisamment larges pour circuler librement d’une couleur à l’autre. De fait, le jeu chromatique investit sans compromis chaque angle et chaque plan du tableau, qui dirige et relance le regard avec caractère et raffinement. Le contraste entre les aplats et les égouttures ajoute une touche distinctive à cette prodigieuse oeuvre de Lemoyne, exécutée avec une virtuosité digne de l’idole qu’elle met en scène. Présentée en sens inverse/opposé, une variation blanche du maillot de Guy Lafleur occupe pour sa part le rôle principal du tableau Lafleur Stardust (1975, collection Loto‑Québec), dont les dimensions plus vastes, en hauteur comme en largeur, contribuent à brouiller les repères figuratifs ; un effet judicieux que l’artiste exploitera à nouveau dans quelques sérigraphies en 1978.
La position d’ailier droit du célèbre joueur de hockey explique en partie le choix de la composition du no 10, Lafleur, semblable en tous points au no 4, Béliveau. Répondant à un souci formel plutôt qu’à un désir de réalisme, la position voûtée du joueur, bras gauche légèrement fléchi, indique qu’une mise au jeu est en cours, que la tension est à son comble. On imagine bien la suite : le coup de sifflet de l’arbitre, les bâtons qui s’entrechoquent autour de la rondelle et les cris de la foule en liesse dans le stade qui scande « Guy ! Guy ! Guy ! ». Le génie de Lemoyne réside dans le fait qu’il situe l’action en dehors du cadre de l’oeuvre, accentuant du même coup l’importance du motif et, par conséquent, la plasticité de cette pièce saisissante.
Une oeuvre essentielle, incontournable et hautement convoitée, qui captera le regard du collectionneur aguerri.
(A.L.)