C’est en mars 1946, à la Maison des Compagnons, sise à Outremont, qu’a lieu la première exposition de Léon Bellefleur, dont les oeuvres sont accompagnées par celles de ses enfants. Bellefleur est fasciné par l’univers surréaliste de Miró, Klee, Breton, les abstractions de Kandinsky et l’onirisme d’Alfred Pellan, artiste qu’il fréquente assidûment. En 1947, il rédige son Plaidoyer pour l’Enfant, « qui constitue sa profession de foi pédagogique et esthétique aussi bien que morale et spirituelle », écrit Guy Robert. L’année suivante, il adhère au manifeste Prisme d’yeux, rédigé par Jacques de Tonnancour et signé par quatorze artistes partisans d’un « art vivant » qui s’oppose à l’académisme et aux idéologies radicales des Automatistes. Évoluant auprès de la jeunesse, l’instituteur, autant que le peintre, place au centre de son oeuvre la fraîcheur qui l’entoure : « La maturité véritable, écrit‑t‑il dans son Plaidoyer, est celle de l’homme qui a conservé intacts ses dons d’enfance, qui les a développés, et qui a laissé tomber tout ce qui était sans rapport avec sa nature. »
Sans titre est peint durant ces années stimulantes, faites de rencontres déterminantes, d’explorations et de jeux plastiques, dont le fameux cadavre exquis qu’il pratique avec ses amis Mimi Parent, Jean Benoit, Albert Dumouchel, et, plus tard, Roland Giguère. Cette huile s’inscrit dans la lignée esthétique du Poisson dans la ville (1946), appartenant au Musée des beaux‑arts du Canada, et d’Hallucination (1946), aussi intitulé Tentation, tableau important qui trouve en la personne de François Hertel1 son premier acquéreur. Sans titre est une oeuvre résolument plus personnelle dans la carrière de Bellefleur, et a fort probablement été incluse dans le lot exposé avec ses enfants. On y retrouve le même style naïf et coloré que dans les deux pièces précédentes, lesquelles sont également dominées par des tracés linéaires, des grattages et une peinture que l’on croirait en partie appliquée aux doigts. Dans cette huile, l’amalgame de formes primaires rappelle les plateaux de jeu, animés par la roulette et les atouts du poker, le roulement des billes et le sept chanceux. Le prisme gravé d’un « R » sur une des faces semble un clin d’oeil affectueux à son épouse, Rita Jolicoeur, avec laquelle il aura cinq enfants. Aube, le dernier bébé à naître, en 1946, est représenté par la figure aux menues lèvres rouges.