Deux oeuvres incontournables (Lot 13-14) rĂ©alisĂ©es en 1965, annĂ©e charniĂšre dans la carriĂšre de Guido Molinari, alors que ce dernier prĂ©sente une oeuvre (Mutation vert-rouge, 1964) Ă la mythique exposition collective The Responsive Eye au Museum of Modern Art de New York. Deux tableaux qui mĂ©ritent toute lâattention du collectionneur en quĂȘte de piĂšces rares et hautement prisĂ©es.
Ă la recherche dâun espace pictural non perspectiviste et dâune gĂ©omĂ©trie plus stricte, Molinari fait table rase de lâespace illusionniste si cher aux Automatistes vers la fin des annĂ©es 1950. DĂ©terminĂ© Ă formuler sa propre thĂ©orie de lâart, il Ă©labore de fil en aiguille une philosophie de la perception qui bousculera les codes de la peinture. Au moyen dâune approche plus radicale que ses confrĂšres post-plasticiensÂč, le peintre cherche Ă gĂ©nĂ©rer une expĂ©rience dynamique entre le tableau et le regardeur en crĂ©ant un champ de perception inĂ©dit. Ce faisant, Molinari poursuit ses explorations structuralistes en sâintĂ©ressant davantage aux travaux et aux Ă©crits de Mondrian, dont il se distanciera ensuite, seulement pour mieux y revenir Ă la fin de sa vie. Il sâinspire notamment dâune des mĂ©thodes du peintre nĂ©erlandais qui consistait Ă prĂ©parer des « peintures gĂ©omĂ©triques Ă lâaide de collage de morceaux de papier colorĂ© dĂ©coupĂ© Ă lâĂ©chelle, procĂ©dĂ© encore utilisĂ© pour les premiĂšres peintures Ă bandes verticales. » ComposĂ©e selon ce principe, avec dâĂ©troites bandes de toile dĂ©coupĂ©es, marouflĂ©es et agrafĂ©es au dos du support, Sans titre (1965, 92 Ă 30 cm) apparaĂźt comme la genĂšse des tableaux Ă bandes verticales par lesquels Molinari rĂ©alisera son ambition de libĂ©rer lâexpression chromatique dans un dispositif sĂ©riel activĂ© par le regard. En effet, tandis que le tableau se livre dans sa forme la plus austĂšre, lâoeil du regardeur se meut dâune bande Ă lâautre, dâune couleur Ă lâautre, « en balayant la surface du tableau comme du papier Ă musique », dixit William C. SeitzÂČ.
AprĂšs les tableaux plasticiens dâ« espace dynamique » (de 1958 Ă 1962), les tableaux sĂ©riels de bandes verticales Ă©gales (de 1963 Ă 1969) constituent dĂšs lors un premier dĂ©nouement formel et structurel aux questionnements initiaux de lâartiste. Avec les rayures colorĂ©es dâĂ©gale largeur, Molinari rĂ©sout le problĂšme spatial une fois pour toutes, affirme Roald Nasgaard. GrĂące Ă cette gĂ©omĂ©trie distribuĂ©e Ă©galement sur des surfaces lisses et opaques, aux contours nets et tranchants, avec une alternance de couleurs prĂ©visible, le peintre « parvient Ă Ă©liminer de lâaire picturale toute trace de subjectivitĂ© et dâĂ©vĂ©nements internes, ses compositions ainsi fortifiĂ©es laissant par consĂ©quent toute la place Ă lâĂ©nergie des couleurs et aux interactions rythmiques qui sollicitent sans cesse lâoeil et les terminaisons nerveuses du regardeur », conclut lâhistorien. De fait, Sans titre (1965, 101,5 Ă 81 cm) systĂ©matise la mĂ©thode Ă bandes dont la couleur est appliquĂ©e directement sur la toile, employant une technique hard-edge dâune prĂ©cision chirurgicale. Alors que le plus Ă©troit des deux tableaux intĂšgre volontairement une bande rouge orangĂ© plus large en son centre â sorte dâagent provocateur visuel â le plus grand tableau reproduit pour sa part trois bandes Ă©gales jaunes, rouge orangĂ© et orange en trois sĂ©quences quasi complĂštes, la troisiĂšme strate orange Ă©tant complĂštement Ă©vincĂ©e du support. Un Ă©lĂ©gant stratagĂšme optique qui fait glisser lâoeil Ă nouveau dans la peinture, au tout dĂ©but de la « partition ». Et tandis quâune palette de couleurs chaudes et froides est dĂ©ployĂ©e dans la premiĂšre oeuvre, on observe un spectre solaire total dans la deuxiĂšme ; une dĂ©clinaison chromatique Ă©galement prĂ©sente dans Mutation jaune-ocre (1964) et Mutation rythmique bi-jaune (1965).
(A.L.)
Âč Claude Tousignant, Yves Gaucher et Charles Gagnon.
ÂČ William C. Seitz fut le commissaire de lâexposition The Responsive Eye Ă laquelle Molinari et Tousignant prirent part en 1965. Seitz commente en ces termes une oeuvre de Gene Davis Ă la camĂ©ra dans le court-mĂ©trage Ă©ponyme rĂ©alisĂ© par Brian de Palma.