Bien que la présence du carré se manifeste déjà dans les oeuvres de Jacques Hurtubise en 1967, c’est dans les années soixante‑dix que l’artiste adopte franchement cette figure comme élément structurant principal, notamment dans ses grands polyptyques composés de petites toiles de hauteur et de largeur égales. Cette forme géométrique sera ensuite progressivement reléguée au second plan et occupera davantage un rôle de soutien à partir de 1977, devenant alors une grille fantôme au service des motifs linéaires et des contrastes chromatiques qui dominent l’espace pictural neutre, comme c’est le cas dans Tawagamie (1977). Alliant l’impulsion et la rigueur, les oeuvres qui découlent de cette approche multiplient la tache et la présentent sous tous ses angles, comme autant d’éclaboussures contrôlées, figées dans un mouvement de torsion, de glissé ou de chute. À cette époque, la référence au paysage s’accompagne d’une libération de la ligne et de la forme qui, une fois délayées par le flot d’acrylique et définies par les frottis au fusain, se font traquer par des gestes précis, par la fulgurance de la peinture et son pouvoir d’attraction. « Une diversité de tons et de volumes en mouvement ouvrent certaines parties du tableau et en estompent d’autres. L’énergie et la cohésion des formes dans une composition équilibrée […] est le fruit de l’expérience assimilée et de la maîtrise de la manipulation des peintures. J’estime que certaines de ses meilleures oeuvres ont été créées à cette époque », affirme Lorna Farrel‑Ward.
En faisant abstraction du sujet par un geste nerveux et répétitif, en imitant le motif paysager sans le définir dans une langue figurative, Hurtubise fait de la peinture son sujet principal. Sans rien perdre de leur fluidité, les masses contrastent subtilement avec la grille produite par la juxtaposition des carrés de toile. L’idée de l’herbe, de la flamme et de la tache est supplantée par la matière à la fois docile et rebelle : le « vrai » paysage se consume derrière les orangés, roses et noirs. En d’autres mots, la figuration se dérobe sous nos yeux pour laisser place à une énergie pure, sans compromis. Tableau sous haute tension et pièce de résistance de ce corpus d’une rare puissance, Tawagamie résonne comme le nom d’un pays imaginaire, au même titre que Tamiami (1976), Tamazonie (1977), Tapocalips (1978) ou Talaska (1979).
Tawagamie a fait partie d’une exposition en tournée internationale de 1981 à 1982, intitulée Jacques Hurtubise. Recent Works / OEuvres récentes, initiée par The Art Museum and Galleries de l’Université de Californie à Long Beach (commissaire : Mary‑Venner Shee). L’exposition a circulé aux États‑Unis, en France, en Angleterre, en Belgique et au Canada.
Jacques Hurtubise naît à Montréal en 1939. Il étudie le dessin, la sculpture et la gravure à l’École des beaux‑arts de Montréal de 1956 à 1960. Il y fait la connaissance des artistes Albert Dumouchel et Alfred Pellan, dont les enseignements seront d’emblée palpables dans son travail. Suite à l’obtention de la bourse Max Beckmann en 1960, Hurtubise part étudier un an à New York, où il trouve de nouvelles sources d’inspiration, En 1967, il représente le Canada aux côtés de Jack Bush à la IXe Biennale de São Paulo, au Brésil. C’est au début des années soixante‑dix que l’artiste a droit à sa première exposition itinérante avec catalogue, au Musée du Québec (1972) et au Musée d’art contemporain de Montréal (1973). Il remporte le prix Victor‑Martyn‑Lynch‑Staunton en 1992 et le prix Paul‑Émile‑Borduas en 2000.
(A. L.)