Artiste multidisciplaire postplasticien, Charles Gagnon aborde une variété de disciplines au cours de sa carrière, où la peinture demeure une pratique constante, un médium privilégié. Marquée par un séjour prolongé à New York, son oeuvre présente des affinités avec l’expressionnisme abstrait, dont les influences s’étendent d’Alfred Leslie à Willem de Kooning en passant par Robert Rauschenberg pour les collages et les constructions. Big Freeze / Le grand gel s’inscrit dans la famille des Gap Paintings, compositions décentrées qu’il reprend en 1962,où les « prédominances de vert, de blanc et de gris entremêlés de brun et de bleu, sont composées d’éléments rectangulaires juxtaposés, joints ou se chevauchant, disposés de façon que leurs côtés soient parallèles au cadre », note Philip Fry. Une des particularités de ce tableau est qu’il conserve l’apport anecdotique du collage, une allusion à la série des Boîtes et des Paysages Collages. On remarque un emballage vert intégré dans la partie supérieure gauche du tableau, où on peut lire « Refusez les imitations ». Ce papier collé peut également être aperçu dans Boîte #6–La Fenêtre, assemblage conçu la même année. La scène hivernale suggérée par le titre influence décidément la facture et la composition de cette pièce où la fenêtre/miroir perce l’espace pictural englouti sous les coulées et les éclaboussures. Si Gagnon est « un peintre abstrait, écrit Roald Nasgaard, il est toujours resté proche de la nature et n’a jamais vraiment abandonné le paysage », dont les « questions de passage et d’obstruction spatiale deviennent des préoccupations constantes ».
Plus délié que La Trouée (1962-1963), aussi dynamique que Southern (1963), Big Freeze / Le grand gel est érigé selon un système de plans de couleurs en T et en zigzags où les couches picturales glissent librement, soit devant, soit derrière le rebord du rectangle prédominant : une analogie à la fenêtre, qui contient et expulse le paysage. Lieu de passages, de signes et de traces détournés, l’espace de l’oeuvre se transforme en piège aux reflets trompeurs, aux issues secrètes. Chaque coup de pinceau entraîne une réponse plastique ouverte, une nouvelle définition de la peinture, et « il en résulte que l’espace semble se déplacer, ajoute Fry, s’ouvrir et se reconstruire à mesure que l’oeil établit des points de repère ». Le tableau devient un tour de force frappé par une indéniable vision photographique qui traque la matière sans relâche.
Charles Gagnon est né à Montréal en 1934. Il fait ses études aux États‑Unis, notamment à la New York Institute of Photography et à la New School of Interior Design, de 1955 à 1959. Gagnon s’illustre tant au Canada qu’à l’étranger dans des expositions phares telles que Art : USA : 58, au Madison Square Garden, à New York, puis, au début des années 1960, à la Galerie Denyse Delrue à Montréal et à la Deuxième Biennale de Paris au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Suivent ensuite des expositions de photographies, notamment à la Vancouver Art Gallery et à l’International Center of Photography, à New York, respectivement en 1971 et en 1983. Gagnon enseigne à l’Université Concordia (1967-1975) et à l’Université d’Ottawa (1975-1996). Il est lauréat du Prix de la Banff School of Fine Arts (1981), du prix Paul-Émile-Borduas (1995), du prix du Gouverneur général en arts visuels (2002) et de la bourse de carrière Jean‑Paul‑Riopelle (2003). Son oeuvre a fait l’objet d’une rétrospective au Musée d’art contemporain de Montréal en 2001, deux ans avant sa mort.
(Annie Lafleur)