Au cours de l’hiver 1989, Marcel Barbeau entreprend une nouvelle production inspirée de ses collages de l’automne et de l’été précédents. Les plans sont plus larges et occupent davantage d’espace que les dernières compositions, très épurées, de 1988. Barbeau reprend toutefois des formes similaires, les agrandit à main levée sur de larges feuilles de papier kraft, puis les découpe afin de s’en servir comme modèle pour tracer les figures de ses tableaux en grand format. Souvent, il modifie librement la palette et l’organisation spatiale pour ne retenir qu’un souvenir de la forme et de la composition initiales. Si, comme un an plus tôt, l’artiste cherche à associer des couleurs complémentaires, il n’hésite maintenant pas à déroger à cette règle par des associations chromatiques inattendues, voire provocantes.
C’est le cas dans Guyanoga, où Barbeau pose, sur un fond vert drapé de blanc, une étrange figure polymorphe orangée au dos arrondi, ornée d’un trapèze renversé et irrégulier, qui rappelle les bandes des tableaux optiques de 1965. Le petit polygone rose, placé à l’oblique entre le vert et l’orangé, exploite la disparité des tonalités complémentaires au moyen de deux couleurs aux nuances tranchées, contraste qu’atténue le plan orangé dans lequel le rose semble se fondre. La polarité la plus forte demeure celle du noir et du blanc. Or, comme dans le trio précédent, la taille des formes qui s’opposent est disproportionnée. Cet déséquilibre crée une tension soutenue orientée vers le coin inférieur droit de l’oeuvre, point d’orgue qui vient asseoir la composition avec hardiesse et humour.
Reproduit en page couverture de la monographie Marcel Barbeau. Le regard en fugue, le tableau a été exposé pour la première fois à la Galerie d’art Michel- Ange à Montréal, dans le cadre d’une exposition individuelle organisée pour le lancement de l’ouvrage au Musée des beaux-arts de Montréal et à cette galerie. Vendu le soir du vernissage, il n’a jamais été exposé par la suite.
Ninon Gauthier