D’une année à l’autre, d’une décennie à l’autre, l’oeuvre de Jean Paul Riopelle se réinvente et subit des métamorphoses en constante résonnance avec le geste qui a eu lieu et celui qui viendra. En ce sens, L’Orage, exécuté en 1956, témoigne des découvertes stylistiques incarnées durant la période des mosaïques (1949-1959) et annonce un basculement fécond, tant dans la composition que dans les tonalités et la facture des tableaux qui lui succéderont. « Cette nouvelle manière de composer [qui] exigeait un nouvel espace », écrit Pierre Schneider à propos des oeuvres de 1956, fait place à des zones plus dépouillées et frontales, comme à la claire-voie d’un sous-bois ou en son coeur le plus sombre. À plus petite échelle, donc, la topographie de ces tableaux se fragmente et s’étage pour lier fond et forme, les coups de spatules s’élargissent, s’ordonnent et se simplifient; les lieux – à la fois imaginaires et viscéraux – d’où jaillissent la matière et les couleurs, semblent obéir à une géométrie repensée qui tend « parfois vers une complexification très serrée des prismes polychromes, parfois au contraire dans le chant moins tumultueux de quelques confidences de bocages », souligne Guy Robert. L’Orage se déploie tout en contrastes, exposant les signes et les percées d’une nature agitée, entre la fraîcheur amenée par le miroitement des verts et des bleus, et la magie de quelques taches ardentes. Orage magnétique ou orage volcanique, les courroies chargées de matière noire, blanche et grise se délestent de leur poids au centre du tableau pour mieux y régner dans un format compact, laissant voir des mouvements au ralenti et des angles abrupts, comme en chute libre. Profil d’orage (1956), vendue en juin dernier lors de l’encan Christie’s à Londres, aborde la même thématique avec un élan tout aussi fougueux, dans un format plus ample et une palette semblable, annonçant L’Orage dans toute sa splendeur.
Jean Paul Riopelle, peintre infatigable au geste intuitif et souverain, adepte à la fois du sens brut et de son renversement, signe ici un tableau incontournable de la célèbre période des mosaïques.
Annie Lafleur