Peintre, sculpteur, photographe et artiste de la performance, Marcel Barbeau a connu une vaste carrière artistique marquée par l’interdisciplinarité. De son vivant, le caractère innovateur des formes d’art radicales qu’il privilégiait, l’exemplarité de son oeuvre et son esprit indépendant ont maintes fois été cités.
Élève de Borduas, Marcel Barbeau signe le manifeste Refus global en 1948 et se joint au groupe des Automatistes, pour mieux s’en écarter quelques années plus tard, fidèle à ses convictions et en constante recherche picturale. Barbeau s’intéresse successivement à la montée de l’expressionnisme abstrait, au hard edge et à l’art cinétique, dont il se fait le pionnier au Canada. Il reçoit de nombreux prix au fil de sa carrière, dont les plus récents sont le Prix du Gouverneur général du Canada en arts visuels et médiatiques et le Prix Paul-Émile Borduas, en 2013.
À la suite de sa participation à plusieurs expositions importantes d’art optique dans des musées d’art et galeries publiques aux États-Unis, Barbeau installe son atelier au 41 Union Square, au coeur de Manhattan. L’effervescence de ce quartier de New York et la vie intense qu’il mène entre New York, Montréal et les villes américaines qu’il visite à l’occasion d’expositions se traduisent par une iconographie dense et complexe, où le mouvement optique forme des compositions plus vibrantes que dans sa première série du même style. Ses tableaux débordent d’effets hallucinatoires saisissants. Sa palette se diversifie également, l’artiste utilisant davantage des couleurs rompues dans des harmonies de contrastes plus subtiles, comme dans Rétine Achale moé pas (PE630), de la collection du Musée des Beaux-arts du Canada.
Comme il le fait souvent dans cette série, Barbeau essaie de créer, dans Rétine Tocson, une figure improbable. Ici, un motif rectangulaire se transforme progressivement en triangles pour former ensuite une pyramide incertaine. C’est à nouveau pour lui une façon de contester la géométrie froide de l’abstraction construite propre au Groupe de recherche d’arts visuels et aux Plasticiens. Il prône plutôt la géométrie du coeur, ouverte à toutes les aventures, qu’il évoquait déjà avec Guy Viau lors d’une entrevue à l’été 1961. Barbeau recourt à une harmonie rare de couleurs tertiaires : un jaune ocre et un vert clair saturé de jaune rabattu de brun. Cette combinaison apparaît déjà dans Bilbao (PE605), peinte au cours de l’été dans le cadre du symposium de l’Université Fairleigh Dickinson, mais avec beaucoup moins de complexité et de puissance. La dominante jaune, qui se retrouve dans les deux couleurs, confère à ce tableau une harmonie à la fois chaude et souterraine, qui atténue la violence du motif anguleux.
Le titre de ce tableau, comme plusieurs titres de cette série inspirés du langage populaire québécois, évoque la rudesse et la ténacité. Il semble faire allusion aux teintes sourdes de l’oeuvre et suggérer des sonorités de basses profondes en même temps que l’idée de résistance.
Ninon Gauthier