Plus expressive et indisciplinée que sa jumelle intitulée La Trouée (1962- 1963), Southern (1963) reprend les lignes et les plans de force de celle-ci pour s’inscrire dans la série Gap Paintings de Charles Gagnon. En effet, l’artiste « reprend ses compositions décentrées vers 1962 », alors qu’il s’intéresse de plus en plus aux « questions de passage et d’obstruction spatiale [qui] deviennent des préoccupations constantes dans son travail », relate Roal Nasgaard. Southern affiche une forme oblongue centrale inachevée, sans assise, laissant les effilochés vert émeraude danser sur les soies grisâtres en arrière-plan. Deux pointes blanches en miroir déformant imitent le quadrangle qui disparaît sous un camaïeu gris, puis refait surface à la lisière droite du tableau. Un sillon d’ocre pur, terminé par l’esquisse d’un coin qui fait écho aux autres masses, chapeaute la composition à la rencontre sinueuse des verts, gris et blancs ainsi que des quelques giclures, coulures et éclaboussures poivrant l’espace pictural. L’ensemble est peint avec une même énergie brute, tout en sensualité.
Artiste multidisciplinaire, Charles Gagnon est né à Montréal en 1934. Il complète ses études aux États-Unis, notamment à la New York Institute of Photography et à la New School of Interior Design, de 1955 à 1959. Gagnon s’illustre tant au Canada qu’à l’étranger dans des expositions phares telles que Art : USA : 58 au Madison Square Garden à New York, puis au début des années 1960, à la Galerie Denyse Delrue à Montréal et lors de la Deuxième Biennale de Paris au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Suivent ensuite des expositions de photographies, notamment à la Vancouver Art Gallery et à l’International Center of Photography à New York, respectivement en 1971 et en 1983. Charles Gagnon enseigne à l’Université Concordia à Montréal (1967-1975) et à l’Université d’Ottawa (1975-1996). Il est lauréat du Prix de la Banff School of Fine Arts (1981), du prix Paul-Émile-Borduas (1995), du prix du Gouverneur général en arts visuels (2002) et de la bourse de carrière Jean-Paul-Riopelle (2003). Son oeuvre a fait l’objet d’une rétrospective au Musée d’art contemporain de Montréal, deux ans avant sa mort. (A. L.)