Ardent défenseur du statut des artistes et militant engagé de la professionnalisation des arts au Québec, le sculpteur Yves Trudeau connaît une période faste durant la décennie 1960, chaque nouvelle année apportant alors maintes découvertes et réussites majeures. C’est dans cet esprit que l’artiste exécute de nombreuses oeuvres d’un même souffle; effort soutenu qui culmine en 1967 avec le célèbre Phare du cosmos. Les quelques pièces plus lyriques et figuratives du début de cette période laissent place progressivement à des expérimentations formelles issues d’un imaginaire plus symboliste et abstrait. En effet, l’assemblage judicieux du bois et du fer – de l’organique et de l’inorganique, dixit Jacques de Roussan – donne naissance à des pièces savamment dosées qui explorent des concepts existentialistes et exposent les luttes et les réflexions de l’artiste quant à la nature et la condition humaines.
Trirème, datée de 1966, est particulièrement évocatrice de cet aboutissement. L’artiste propose ici une vision à la fois intimiste et post-moderne d’un sujet antique à l’aide de matériaux ouvriers, mais intemporels. Fasciné par le thème de l’embarcation, qui revient entre autres dans Le Carrosse des Dieux (1965) et La Barque des Dieux (1966), Trudeau s’approprie cette fois les lignes épurées et l’architecture fuselée d’une trière (ou trirème), ce navire de combat qui pouvait faire tenir en son ventre jusqu’à cent-soixante-dix rameurs étagés sur trois rangs – ce à quoi les rayons de fer semblent faire allusion. Les morceaux de bois brûlés, empalés par une myriade de ces fines tiges métalliques, forment ainsi sommairement le pont, la proue et la voile, alors que le fer plié recrée la coque. Les traînées de soudure qui bordent les axes empiètent bien souvent sur les plans et les arcures, ajoutant ainsi à la plasticité globale de l’oeuvre. À cet égard, l’équilibre spatial n’a d’égale que la richesse de la facture. (A. L.)