Les pittoresques scènes d’hiver de Jean Paul Lemieux ont marqué l’imaginaire canadien avec leurs espaces majestueux et infinis. De moindre envergure, mais tout aussi éloquents et remplis de mystère, ses tableaux plus intimistes s’imposent brillamment grâce à des cadrages plus resserrés et expressifs. Ici, deux patineurs sont emmitouflés dans de jolis manteaux cintrés, vêtus de bonnets de laine et de mitaines rouges tricotés, sur un fond enneigé encore lourd d’une récente bordée. La ligne d’horizon, qui accuse une légère courbe, semble basculer dans un autre monde, là où la fiction rencontre la vision du peintre.
Cette huile, réalisée dans la deuxième moitié des années 1970, est à rapprocher de tableaux tels que Le temps d’hiver (1968) ou Personnages dans la nuit (non datée), tant pour sa composition classique que la présence emblématique des deux personnages – l’un de face, l’autre de profil –, ainsi que pour sa lointaine et vertigineuse chaîne montagneuse qui se fond dans l’horizon sans limites. Les gris et les blancs colorés, particulièrement réalistes dans la présente oeuvre, semblent faire apparaître et disparaître les silhouettes – tantôt frontales, tantôt infinitésimales – sous le regard impassible du soleil voilé. Lemieux tente ici une interprétation plus libre du plaisir du patinage, que l’on détecte dans le personnage de profil, main tendue vers sa comparse en perte d’équilibre, et le groupe de patineurs au loin. L’influence de peintres norvégiens tels que Edvard Munch et Harald Sohlberg est manifeste dans l’oeuvre de Jean Paul Lemieux, tout spécialement dans cette scène hivernale typique. (A. L.)