Un tableau est fait de rythme, forme, espace, lumière, ombre et de couleur – mais c’est la sensation, la poésie du peintre qui produisent l’harmonie.
– Jean McEwen
Adagio des pays vastes (1973) se livre comme un chant de la terre : son lyrisme et sa puissance sont remplis d’écho. Jean McEwen a la main sûre au moment de peindre ce tableau : du haut de ses 50 ans, il pétrit la matière avec ses doigts jusqu’à saturation de la couche picturale, conférant à celle-ci une richesse d’une inépuisable beauté.
Attentif aux tableaux réalisés dans les années 1950 et 1960, McEwen repousse les limites formelles et plastiques qu’il s’est imposées en restituant les transparences, les coulures et les percées selon un ordonnancement nouveau. Une couche de pigments incandescents aux effets marbrés et brumeux recouvre tout le premier plan, dont le quart inférieur présente une ouverture mystérieuse qui invite à imaginer ce qui se cache derrière – sinon ce qui se trouve au-devant. Cette brèche donne l’illusion d’une profondeur caverneuse où se profile un espace pictural secret. Un scintillement presque minéral ceint les quatre côtés du tableau à la manière d’un cercle de feu naissant, doré, inextinguible.
La série Adagio des pays vastes (1972-1973) est la suite logique de Miroir sans image (1971), qui, plutôt que de réfléchir une image provenant de l’extérieur, projette sa propre image interne, celle d’une peinture brillante, diaprée, stratifiée. Cette « exubérance contrôlée », écrit Constance Naubert-Riser, introduit des champs colorés qui sont soumis à une organisation spatiale rigoureuse et sérielle permettant à l’artiste d’explorer le plein potentiel de la couleur et de la dynamique espace-plan. Suivant ce principe, le pigment coloré mélangé aux vernis produit, dans le présent tableau, un effet de texture somptueux qui dialogue avec les séries Laque d’un pays vaste et Das Lied von der Erde (« le chant de la terre »), exécutées durant la même période. Variante d’une même composition, mais de plus grande dimension, la toile Adagio des pays vastes no 1 (1973, collection First City Financial Corporation Limited, Vancouver) est reproduite dans le catalogue Jean McEwen : la profondeur de la couleur : peintures et oeuvres sur papier, 1951-1987 (cat. 51, p. 102).
Jean McEwen est considéré comme un des artistes canadiens les plus influents de sa génération. Ses oeuvres ont été présentées à maintes reprises dans des expositions individuelles et collectives à Montréal, à New York, à Québec et à Toronto. Le Musée d’art contemporain de Montréal lui a consacré une rétrospective en 1973 et le Musée des beaux-arts de Montréal a fait de même en 1987. McEwen a reçu de nombreux prix et distinctions au cours de sa carrière, notamment la bourse Victor-Martyn-Lynch-Staunton du Conseil des arts du Canada, en 1977, et le prix Paul-Émile-Borduas, en 1998, un an avant de s’éteindre à Montréal.