Le début des années 1950 est une période déterminante pour William Ronald. Fraîchement diplômé de l’École d’art de l’Ontario, celui-ci s’installe à New York afin d’étudier sous l’expressionniste abstrait Hans Hofmann, puis rentre à Toronto en 1953. Il fait partie des membres fondateurs du Groupe des Onze, collectif d’artistes à l’avant-garde du modernisme au Canada. La première exposition du Groupe, en 1954, est aussi la première exposition commerciale d’art abstrait d’envergure à Toronto. Réalisée en 1955, la toile intitulée Invasion est vraisemblablement inspirée de l’environnement urbain qui s’offre à la vue de Ronald au quotidien. Le peintre y restreint son usage de la couleur au noir, au marron et au blanc doux, auxquels s’ajoute un soupçon de bleu. Deux autres de ses toiles, In Dawn the Heart et Harlem Talk, réalisées en 1954 avant un nouveau séjour à New York, se caractérisent semblablement par une palette restreinte et sourde; toutefois, elles sont exécutées dans un style différent qui s’apparente davantage à un blitz qu’à une offensive planifiée.
Dans ces toiles, on ne distingue aucun point focal, seulement un équilibre et une uniformité d’ensemble qui résultent d’une touche constante. Dans celles qui suivront la même année – par exemple Pacific 231 –, en revanche, on anticipe déjà les gestes vigoureux qui font la particularité d’Invasion. Pour Ronald, l’art est un chemin où chaque oeuvre s’inscrit dans la lignée de la précédente et mène encore plus loin. Dans Invasion, on remarque que l’artiste a délaissé les coups de pinceau en staccato d’apparence aléatoire caractéristiques des tableaux de 1954 susmentionnés. Comparativement aux travaux antérieurs, où la couleur est appliquée par à-coups, la peinture y semble étalée de manière fluide, planifiée et méthodique selon une composition horizontale organisée et structurée. Il y a un ordre qui sous-tend le tableau, ordre qui n’était pas aussi palpable dans les compositions antérieures.
Avec ses énergiques traits blancs verticaux à la base qui rappellent vaguement le Parthénon, Invasion dénote presque une inclination pour l’architecture. La toile ayant été réalisée à New York, on peut supposer que la construction de cette ville a influencé l’artiste torontois, à qui pourraient s’appliquer les paroles de John Donne : nul artiste n’est une île, en soi suffisante; tout artiste est une parcelle de ville. En 1955, Ronald s’apprête à réaliser une série d’oeuvres qui laissera sa marque avec ses motifs centraux. Invasion, coupée en deux par une large bande noire, en est d’ailleurs le précurseur. Ce motif central s’accentue dans les oeuvres subséquentes – par exemple Incendio #1 (1955), Central Black (1956) et Maya (1957) –, qui se succèdent rapidement et que les galeries, les musées et les collectionneurs s’arrachent à mesure que l’art de Ronald gagne en notoriété.