«La perception des Quantificateurs est lente, intense et exigeante, puisque les valeurs chromatiques sont parfois si voisines et subtiles qu’elles en viennent à la limite de l’invisibilité. » D’emblée, les Quantificateurs font entrer l’oeil nu dans un espace intérieur, intime, contemplatif, loin de « la grande scène publique du monde ». Plus encore, le regard est contraint de décoder les formes, les couleurs, la structure picturale en soi, autant qu’il tente d’en saisir le sens en balayant le tableau de gauche à droite, de haut en bas. À chaque coup d’oeil et dans chaque lumière, chaque ombre, une réponse surgit. Ainsi, le tableau, aperçu dans la pénombre, prend un tout autre sens que lorsqu’il est traversé par la lumière du jour. Le révélateur d’ombre et de lumière, ancré dans la durée, fait partie de cet espace méditatif si cher à l’artiste. À la théorie s’ajoute donc la mystique : « Les Quantificateurs sombres et les séries monochromes rouges et bleues (“ma période mystique”) […] ont construit un espace méditatif lent qui atteint profondément les replis intérieurs du corps. » Dans ce travail, il y a un phénomène optique et subjectif de « dualisme complémentaire » (Mondrian) qui tente – de l’esprit à la matière et de la matière à l’esprit – un nouvel enracinement de l’abstraction; un peu comme une demande à la peinture, une invocation, une litanie pour soi. L’artiste évoque souvent la musique contemporaine pour circonscrire l’idée de « progression rythmique », harmonique et spatiale dans sa peinture, qui peut être lue comme une partition, d’une bande à l’autre, d’une tonalité à l’autre.
Si la série des tableaux à bandes verticales arrive à terme avec le système binaire simple des Dyades, autour de 1969, Molinari poursuit ses recherches, qui le mènent aux Quantificateurs au milieu des années 1970. Le thème de cette série occupera l’artiste pendant une vingtaine d’années. Au sujet de cette série-fleuve, l’historien de l’art Roald Nasgaard dit ceci : « Les Quantificateurs ont un double aspect caractéristique : une organisation des couleurs quasi verticale et quasi monochrome. Pour commencer à décrire leur efficacité formelle, il faudrait procéder comme suit : la division quasi verticale de deux masses de couleur, à peine perceptible parfois. » Le présent tableau, Quantificateur rouge, daté de 1987, illustre bien ce propos. L’artiste divise les rectangles en deux trapèzes, auxquels il ajoute une cinquième figure, orpheline, à l’extrême droite de la toile. Le tout constitue un subterfuge où les teintes sont à peine discernables. « L’effet de cette poussée diagonale, poursuit Nasgaard, est de mettre l’accent sur les coins tout en réinvestissant la forme avec le mouvement. » L’oeil ne s’échappe jamais complètement de cette pièce imposante, comme hypnotisé par son « mouvement de pendule », par sa vibration ardente.