Maîtrisée, affranchie et robuste, la toile Sans titre (1956) de Marcelle Ferron s’inscrit dans une période historique et déterminante en arts visuels au Québec : celle de l’apogée du groupe des Automatistes, dont l’artiste fait figure de proue aux côtés de Paul Émile Borduas, de Jean Paul Riopelle, de Marcel Barbeau et de Françoise Sullivan, pour ne nommer que ceux-là. Le présent tableau traduit l’essence des préoccupations picturales qui marqueront l’oeuvre de Ferron, à savoir le geste, le rythme et la lumière.
Peint durant les années parisiennes de l’artiste, Sans titre (1956) est un tableau inédit dont l’exécution s’inscrit résolument dans la lignée automatiste, à l’image d’autres peintures réalisées à la même époque. Le tableau annonce également les oeuvres subséquentes de l’artiste, qui refléteront toute une décennie de production. En effet, les coups de spatule conservent ici leur caractère organique – les masses sont dentelées et irrégulières sur un côté – tandis que l’espace pictural est entièrement investi par la superposition des empâtements, aussi généreux que lumineux. Ferron se distingue par la force de sa gestuelle et l’équilibre de ses compositions, sans oublier la palette, ici à dominante froide, rehaussée de quelques rutilants éclats. Sans titre captive le regard par son mouvement aérien inspiré par la flore aquatique et végétale, entre le scintillement des vagues et le bruissement des feuilles.
C’est en octobre 1953 que Marcelle Ferron quitte Montréal pour se rendre à Paris avec ses trois filles. Lors de ses premières années européennes, « Ferron multiplie les voyages qui la mènent notamment dans les Balkans, en Grèce, en Italie et dans les Pays-Bas, où elle découvre de nouvelles lumières ». Le séjour de l’artiste en France, où elle demeure jusqu’en 1966, joue un rôle déterminant dans l’essor fulgurant de sa carrière. Le don d’un lot de pigments par un mécène, dans la seconde moitié des années 1950, est à l’origine d’une transition dans son esthétique picturale. En 1956, Ferron présente une première exposition individuelle en Europe à la Galerie Apollo, à Bruxelles. Elle participe également à la 23e exposition de l’association artistique Les Surindépendants au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, puis peu de temps après, à une exposition particulière à la Galerie du Haut-Pavé, aussi à Paris. À propos de cette période, le conservateur d’art Réal Lussier écrit : « De plus en plus lumineuses, les compositions s’élaborent essentiellement autour d’un choix limité de couleurs qui permettent de faire vibrer les blancs. »