Sans titre (1959) constitue une pièce importante du corpus de Fernand Toupin, en raison du contexte historique pivot dans lequel elle a été réalisée et de ses qualités plastiques indéniables annonçant une métamorphose durable au sein de son oeuvre.
À la fin de 1959, ceux qui sont aujourd’hui considérés comme le trio des premiers Plasticiens* – Jean-Paul Jérôme, Louis Belzile et Fernand Toupin – entrent dans des phases respectives de mutations plastiques, ce qui marque la fin d’une aventure plasticienne commune. À cette époque, Toupin, à la recherche d’une expressivité, voire d’un certain lyrisme qui le rapprocherait davantage de ses préoccupations plastiques, manifeste un vif intérêt pour la texturation des surfaces. À ce titre, les masses prennent de l’expansion et se déplacent au sein de l’aire picturale, dès lors fractionnée par les diagonales et les angles aigus qui engendrent mouvement et dynamisme, participant de ce désir d’épanouissement. Les oeuvres Sans titre (1958), Solitude (1959) et Cabriole (1959, Musée national des beaux-arts du Québec) présentent toutes trois de fortes similitudes avec Sans titre (1959), à commencer par leurs menues dimensions, le traitement sablonneux des surfaces, l’assouplissement des contours et la présence de réseaux linéaires qui lient le fond et la forme.
L’historienne de l’art Marie Carani commente cette période en termes de « matiérisme textural plus proprement lyrique qui sera [celui de Toupin] au cours des années soixante et qu’on reconnaît déjà chez lui au moment de son exposition conjointe avec Belzile au Musée des beaux-arts [de Montréal] en octobre 1958, puis deux mois plus tard à l’[exposition] Art abstrait [à l’École des beaux-arts de Montréal] ». Si l’artiste s’est consacré pendant une bonne partie de sa carrière à des « oeuvres “matiéristes” qui misaient sur les granulations et les empâtements », c’est en fin de parcours qu’il retourne à « une géométrie plasticienne à aires éclatées », note Denise Leclerc.
*Rodolphe de Repentigny, alias Jauran, cosignataire du Manifeste des Plasticiens, meurt accidentellement en juin 1959.