Somptueux tableau du cycle Bleu, Blanc, Rouge, Sans titre (1975) s’impose par la force et l’audace de sa composition. La toile soutient les regards sur plus d’un mètre sur un mètre et demi, dimensions qu’atteignent d’autres oeuvres phares créées la même année telles que Le masque, Lafleur Stardust et Cournoyer. Une pièce de résistance et une occasion à saisir pour les collectionneurs et collectionneuses aguerris.
Le plan rapproché occupe ici tout le champ pictural. Le joueur est dans le feu de l’action, en position d’attaque, penché en avant, coude fléchi. La rondelle est dans sa mire. Les photographes affectés au match traquent le moindre mouvement, à l’affût des moments décisifs qui feront la une des journaux. Lemoyne puise d’abord dans cette photographie de reportage pour composer les premiers tableaux tricolores, puis procède ensuite par agrandissement ou par grossissement en se basant sur ses propres toiles afin de faire ressortir un détail, une zone resserrée et recadrée au maximum. Sans titre s’inscrit dans ce corpus de gros plans qu’il désigne par blow-up, et dont le film du même nom réalisé par Michelangelo Antonioni sert d’inspiration.
Le passage de la photographie à la peinture donne lieu à un jeu d’épurement qui conduit inévitablement à l’abstraction. Dès le premier coup de pinceau, les signes et les conventions de l’espace perspectiviste tombent au profit d’enjeux picturaux et expressifs qui évacuent peu à peu le référent sportif. La surface du tableau devient le terrain de jeu du peintre où les juxtapositions chromatiques, les coulures et les rayures se réinventent à tout coup d’un point de vue formaliste.
En 1975, deux principales séries de tableaux se succèdent, en plus des masques : celle des nombres, puis celle des articulations, dans laquelle s’inscrit Sans titre. En effet, la composition de ce tableau exclut in extremis le numéro normalement visible sur le côté de la manche du maillot, le peintre préférant cadrer à la limite du coude du joueur. Ce choix n’est pas anodin. Lemoyne annonce l’abstraction pure à venir – il manifeste ses intentions plastiques, fonce droit au but, pour ainsi dire. Le cycle Bleu, Blanc, Rouge se termine par ailleurs sur l’essence même du hockey ; seuls seront conservés le symbole et le tricolore dans des séries telles que Pointe d’étoile (1977-1978) et Les Étoiles (1979).