Les compositions all over de Marcel Barbeau figurent parmi ses œuvres les plus abouties et les plus avant-gardistes. Les toutes premières pièces voient le jour durant la seconde moitié des années 1940 et, parmi elles, se distingue la flamboyante Sauvage-furie ou Automne-délire, datée de 1947. Au sujet de cette œuvre, l’historien de l’art Roald Nasgaard écrit : « Dans ce petit tableau, Barbeau, avec une étonnante retenue, a étalé la matière à coups de spatule réguliers, ordonnés, quasi mécaniques. En 1947, cette démarche n’avait pas vraiment de précédent, autant au regard du sacrifice presque total de la spontanéité automatiste que de l’indifférence pour la composition compte tenu du cadre rectangulaire. » Ainsi, Barbeau signe ici un véritable manifeste plastique, précurseur des explorations picturales qui feront basculer les arts visuels dans une modernité irréversible tant au Québec qu’au Canada.
En effet, ce chef-d’œuvre marque la genèse des Automatistes, dont les œuvres lui seront redevables à plusieurs égards. Il s’agit d’une des rares peintures de 1947 ayant échappé à l’hécatombe de l’année suivante, au cours de laquelle plusieurs tableaux ont été détruits. Animée par de superbes effets de miroitement et de transparence, là où la matière est raclée jusqu’à la toile, la pièce annonce notamment les huiles de Paul Émile Borduas au milieu des années 1950, suivies des toiles de Marcelle Ferron, ne serait-ce que par la lumière qui façonne et balaie l’espace d’un geste assuré, mature, implacable.
Avec Sauvage-furie ou Automne-délire, la palette de Barbeau s’éclaircit : le noir cède la place au blanc, dont la lumière irradie la surface. Ce contraste pur, additionné de pigments bleus, rouges et verts, permet de repousser les limites jusqu’alors peu explorées de la technique all over et du tachisme. Le réseau distendu des bandes de spatule se jette dans la mêlée sous l’emprise d’une poussée latérale tandis que les touches de couleurs vives ponctuent joyeusement ce damier en bataille. L’orientation oblique des traces donne de la densité à la trame baroque, éblouissante, éminemment expressive.
Une œuvre historique et incontournable pour le collectionneur audacieux, à l’image de l’artiste inclassable que fut Barbeau.