Le 5 mars 1970, l’artiste E. J. Hughes écrit à sa sœur, Zoie : « À partir de juillet et pour trois mois, je vais changer d’air grâce à une subvention de projet à court terme du Conseil des arts du Canada. Même si je fais bien plus d’argent maintenant, Zoie, j’ai besoin de ce supplément pour pouvoir mettre le travail d’atelier de côté quelque temps. Le changement, comme je l’ai sans doute déjà mentionné, consiste à faire des croquis en plein air près d’ici, au sud-est de l’île de Vancouver. »
Tous les quatre ans, Hughes part à la recherche de sujets pour ses peintures. « Je ne prévois pas d’aller à plus de 80 kilomètres de chez moi, poursuit-il, alors je pourrai rentrer tous les soirs. Nous avons une nouvelle Pontiac Laurentian qui, je l’espère, continuera de rouler aussi bien qu’en ce moment. » Il a l’habitude de croquer ses sujets in situ, au crayon, puis de les peindre à l’huile plusieurs années plus tard. C’est le cas de la toile Above Ganges Harbour, réalisée en 1974.
Depuis sa demeure à Shawnigan Lake, sur l’île de Vancouver, Hughes se rend à Crofton et prend le traversier vers l’île Salt Spring. Il s’arrête sur le chemin Beddis, juste au sud de Ganges, là où les versants rocheux des collines de l’île Galiano forment un décor intéressant.
Contrairement aux membres du Groupe des Sept, qui peignent surtout des paysages inhabités, Hughes a quelque chose d’un historien des sociétés. En effet, la toile montre une maison en construction, la première d’un nouveau lotissement, présage de ce qui attend la plus populeuse des îles Gulf. La colonette de service provisoire, les barils d’huile, les piles de bois d’œuvre, le chemin non asphalté et la porte manquante sont autant d’éléments qui dénotent une zone en transition. Sous un impressionnant ciel nuageux, le havre de Ganges grouille de bateaux de pêche et de bateaux de plaisance tandis qu’à droite, un traversier de BC Ferries emprunte le détroit Active Pass pour se rendre à Vancouver.
En 1951, le propriétaire de la galerie Dominion de Montréal, Max Stern, acquiert l’ensemble des peintures de Hughes et s’engage par contrat à acheter celles à venir, arrangement qui dure jusqu’à la fermeture de la galerie en 2000. Cette magnifique peinture des îles Gulf, achetée à la galerie peu de temps après sa réalisation en 1974, n’a jamais été exposée publiquement. Malgré son apparence primitive, voire naïve, tout dans cette œuvre charmante atteste la technique irréprochable d’un des artistes les plus appréciés de l’Ouest du Canada.
(Robert Amos, artiste et auteur / Trad.: Joanie Demers)
Robert Amos est le biographe officiel d’E. J. Hughes. En plus d’avoir publié quatre ouvrages sur cet artiste, il s’emploie à dresser le catalogue raisonné de son œuvre.