Je peins pour défier la mort.
– Harold Town
Durant les années 1950, l’œuvre de Harold Town est marquée par les préoccupations esthétiques de l’expressionnisme abstrait canadien, courant auquel l’artiste contribue largement en tant que membre du Groupe des Onze. Au début des années 1960, en revanche, son œuvre s’éloigne du formalisme strict de la doctrine de Clement Greenberg, qui préconise l’autonomie de la création artistique et renie toute référence au monde extérieur. Ainsi, les peintures abstraites polychromes de Town datant de cette nouvelle période se caractérisent par des expérimentations avant-gardistes inspirées des sources les plus diverses. Selon l’historienne de l’art Iris Nowell, Town produit un corpus d’œuvres majeures à cette époque, à commencer par Banner #1 (1960, 200,6 cm sur 172,7 cm), Down and Up (1961, tableau actuel) et Festival (1965, 207 cm sur 188 cm, coll. de la Banque d’art du Conseil des arts du Canada), tableau choisi pour illustrer la jaquette de la monographie consacrée à son œuvre, en 2014.
Avec Down and Up, on retrouve la richesse des textures ainsi que l’exubérance des couleurs dans une composition sidérante. Grossièrement divisé en quadrants, à l’image de nombreuses peintures de cette fournée, l’espace pictural compte plusieurs paliers, comme autant de raccordements routiers, de bretelles d’accès, de détours et de signes contradictoires, l’imagerie urbaine étant une thématique chère au peintre. Ici, Town rejette toute rigidité formelle de manière innovatrice avec une touche gestuelle dynamique et une éruption spontanée de formes irrégulières. La facture est particulièrement frappante au cœur de la toile, où les empâtements vert pistache, lapis-lazuli, lilas, roses et orangés tourbillonnent avec fracas pour terminer leur course dans une sorte de chaussée picturale. Parfois appliquée directement à partir du tube, la peinture épaisse aux couleurs contrastantes et vives sert ici à créer une éclatante fresque de formes et de symboles entremêlés : carrés, croix, points, flèches et lignes épaisses. Selon la professeure émérite Gerta Moray, l’artiste « met en évidence la nature artificielle des systèmes de signes et des styles artistiques, ainsi que la façon aléatoire dont les signes s’affrontent et coexistent dans l’environnement contemporain » [nous traduisons]. Harold Town signe une œuvre fracassante de son répertoire prisé et acclamé.
(Annie Lafleur)