L’enjeu n’est plus le cœur, mais la rétine.
– Victor Vasarely
Durant les années 1960, Victor Vasarely, plasticien hongrois naturalisé français en 1961, connaît un véritable succès et jouit d’une reconnaissance internationale, comme en témoigne la multiplication des expositions consacrées à son œuvre ainsi qu’à l’art optico-cinétique en général. De façon plus significative, l’artiste triomphe après l’exposition historique The Responsive Eye, présentée au Museum of Modern Art, à New York, en 1965; on le surnomme désormais « le pape de l’Op ». La même année, il reçoit le prestigieux Grand Prix de la Biennale de São Paulo. À partir de 1963, et de façon plus marquée en 1966, Vasarely se réapproprie entièrement l’usage de la couleur, qui éclate littéralement dans son œuvre. Il fonde son utilisation sur un système de formes géométriques colorées en aplat, conçues comme des modules combinables à l’infini. Les unités picturales qui régissent ces tableaux forment un « alphabet plastique », mis au point et breveté par l’artiste même; elles sont constituées d’un simple carré coloré d’environ 10 centimètres sur 10 centimètres dans lequel est insérée une figure géométrique – carré, rectangle, triangle, cercle, ovale – d’une couleur différente et d’une plus petite taille. Ensuite, ces unités picturales obéissent à une palette de couleurs déterminée – jaune de chrome, vert émeraude, bleu ultramarin, violet de cobalt, rouge, gris – basée sur les contrastes entre le blanc et le noir, le positif et le négatif. Elles se prêtent donc à une infinité de déclinaisons et d’agencements. « Leur répartition fait alterner les chauds et les froids, les clairs et les sombres et provoque des ondes de surface. Vasarely multiplie les variations, recherche les contrastes, déforme la grille, retrouve le volume, joue de la perspective, creuse l’espace, ne craint pas le clair-obscur », écrit l’historien de l’art Serge Lemoine.
Le tableau Kezdi (1968) en est un exemple probant : ses éléments sont disposés dans une grille orthogonale rigoureuse, sorte de kaléidoscope composé de 361 modules carrés dans lesquels sont peints des cercles et des losanges de dimensions identiques, de l’extrémité du tableau jusqu’en son centre. On obtient ici la perspective recherchée – convexe et renflée –, grâce aux tonalités chromatiques allant de la plus claire à la plus foncée. Ce procédé vient concrétiser l’idéal de Vasarely d’un art accessible à tous, multiplié en sérigraphies et reproduit sur différents supports (toile, revêtement mural, tapisserie, etc.), à l’image du travail d’artistes Pop des années 1960 tels que Roy Lichtenstein et Andy Warhol. Un art que le critique d’art Michel Ragon qualifie de « polychromies multidimensionnelles » et dont la finalité repose sur l’œil actif de l’observateur.
De février à mai 2019, le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, à Paris, a consacré à Victor Vasarely une première grande rétrospective française qui réunissait plus de 300 œuvres, objets et documents de l’artiste. L’œuvre Arny (1967-1968), choisie pour la couverture de la monographie de l’exposition et les affiches promotionnelles, s’inscrit dans la même fournée que Kezdi; les deux œuvres arborent une palette de couleurs similaire ainsi qu’une composition en grillage dans laquelle le carré et le cercle sont maîtres, se jouant du fond et de la forme, passant de l’un à l’autre sous des éclairages irréels.
(Annie Lafleur)