Le tableau Magie de la nuit (1961) de Rita Letendre, c’est l’apparition fortuite de battements d’ailes dans la nuit, comme un mystérieux présage. On y décèle un oiseau – peut-être un geai bleu – qui prend son envol. Letendre exploite ici une peinture aux riches émulsions noires et brunes qui remuent la terre dans une tempête foudroyante. Elle modèle, sculpte et pétrit la matière, comme s’il s’agissait du prolongement d’une entité viscérale. Les masses sont balafrées, raclées et soulevées de toutes parts par la force de la truelle, qui tantôt enveloppe la toile d’un « noir de truffes » et d’un « bronze cuit »[1], tantôt révèle ses intérieurs incandescents et verdoyants. Durant les années montréalaises (1953-1963), l’artiste travaille les empâtements dans une gestuelle ample et expressive, simplifiant les coloris pour créer un plus grand impact. Les plus beaux tableaux de cette période phare sont ténébreux, d’un noir scintillant comme les parois d’une mine de diamants. Dans le corpus dont il est issu, Magie de la nuit se démarque par son intensité culminante, ses dimensions imposantes et sa parfaite maîtrise formelle.
(Annie Lafleur)
[1] ARTAUD, Antonin. Van Gogh, le suicidé de la société, Paris, Gallimard (L’imaginaire), 1974 [2001], p. 44, 66 et 67.