L’année 1962 est faste et déterminante dans la carrière de Marcelle Ferron, qui multiplie les rencontres et les expositions itinérantes, collectives et particulières, principalement en Europe et au Canada. Installée dans son atelier de Clamart, petite commune située en banlieue de Paris, elle accueille notamment le directeur de la Maison canadienne de Paris, Eugène Cloutier, qui fera l’acquisition du diptyque que nous présentons ici. L’armature cathédrale du tableau, dont les deux pans sont asymétriques, révèle une probable réalisation in situ et ajoute un élément structurant à cette pièce remarquable.
La palette, riche en pigments aux tonalités chaudes et froides, est appliquée au moyen de puissants coups de spatules, outils fabriqués sur mesure par un menuisier français selon les instructions de Ferron. On remarque ici l’usage judicieux de ces différentes truelles, maniées avec force et maîtrise dans des mouvements ascendants décrivant une sorte de bouquet végétal à la recherche d’une source lumineuse pour s’épanouir. D’un beau vert phtalo, les empâtements les plus expressifs créent un dialogue fécond entre les deux panneaux, qui sont également illuminés par des touches acidulées en leur sommet. Sans se toucher, les deux agrégats colorés semblent vouloir se rejoindre dans leur trajectoire tel un arc. Leur composition et leur choix chromatique rappellent les vertigineux tableaux Consonnes sifflantes (1961, coll. du Musée des beaux-arts du Canada) et Sans titre no 1 (1961, coll. du Musée d’art contemporain de Montréal) ; ce dernier figure d’ailleurs sur la page couverture de la publication réalisée à l’occasion de l’exposition Marcelle Ferron, une rétrospective, en 2000.
Ce diptyque évoque, d’une part, les retables architecturés de la Renaissance, où chaque volet représentait un récit, et, d’autre part, l’art du vitrail. De fait, à partir de 1962, Ferron étudie l’architecture avec Piotr Kowalski, diplômé du Massachusetts Institute of Technology, qui travaille à Paris. Cette démarche créative aboutit à un art d’intégration à l’architecture ainsi qu’à la production de vitraux monumentaux. En 1964, Ferron découvre le verre coloré et fréquente, à Paris, l’atelier du maître verrier Michel Blum, « qui l’initie à l’art du vitrail et lui transmet le résultat de ses recherches sur la mise au point du Verrecran ». Avec cette pièce magistrale, Ferron fait preuve d’une authentique originalité formelle et montre, une fois de plus, l’étendue de son génie artistique.
(Annie Lafleur)