L’auteur Guy Robert qualifie de « torrentielle » la production picturale de Riopelle en 1964. Autrement dit, l’artiste atteint une forme d’aisance technique et matérielle qui se manifeste par un foisonnement lyrique – à petite et à grande échelle – depuis les immenses triptyques jusqu’aux plus petites toiles parfois ovales, qui présentent le même traitement de la pâte et de la couleur. Tous formats confondus, cette nouvelle fournée agit comme un tourbillon qui plonge le spectateur dans une rêverie de la matière, une métamorphose de la forme et une « formidable réserve de puissance et de sortilège », écrit Yves Michaud. L’amorce des années 1960, période de transition et d’autonomie significatives, « ramène Riopelle vers la forme puis vers l’image », écrit Michaud. On y redécouvre le thème des éléments, et plus particulièrement une variation sur le thème de l’eau, auquel le présent tableau n’échappe pas. Le torrent, le tourbillon et le foisonnement dont il est question se concrétisent ici dans un réseau de linéaments qui aboutissent sur des nappes de couleurs mouvantes. « C’est un glissé de la brosse donnant à la couleur pure une profondeur par la remontée des couleurs sous-jacentes dans le fameux effet de translucence hofmannien caractéristique de l’expressionnisme abstrait, note l’auteur. C’est ce qui donne ces effets d’eau profonde. » Riopelle s’inspire de ce motif pour ajouter une qualité organique à la matière, où la brosse dessine des embranchements infinis, des ponts et des arches sous-marins. Le ciel tout entier semble se refléter dans ce tableau quasi aquatique traversé par des courants aux coloris bleus et blanc, lie-de-vin et magenta, vert émeraude et anthracite.
(Annie Lafleur)