Symbole de pureté et de paradis perdu, Nu sur fond bleu (1963) de Jean Paul Lemieux s’impose par sa majesté tranquille comme un des plus beaux tableaux de ce corpus. Ici, la silhouette élancée de la jeune femme nubile est peinte avec sensibilité et pudeur, à l’image d’un songe contemplatif. Doucement baignée de lumière, la figure marche solennellement dans la béance du ciel, où sa grandeur et sa grâce paraissent décuplées. Les quelques minuscules nuages autour de son pagne renforcent sa présence, qui déborde littéralement l’aire picturale. En effet, la composition tronquée est emblématique chez Lemieux, qui recourt au plan cinématographique pour cadrer ses sujets, de sorte qu’ils semblent à la fois étudiés et captés sur le vif. Chaque détail de cette composition angulaire est contrebalancé par la touche délicate du peintre, qui insuffle force et beauté au sujet féminin.
Tantôt figurant dans un banquet champêtre, tantôt sujet esseulé au milieu d’un champ, le nu, chez Lemieux, s’inscrit dans une trame narrative poétique. Dans le présent tableau, une aura de mystère entoure la figure coiffée d’un chapeau pointu, puis drapée d’un paréo à la taille – vêtements qui rappellent la tenue marginale des personnages arlequin (Le petit arlequin, 1959 ; Les mi-carêmes, 1962 ; Jeune clown, 1970). Le profil au bras légèrement fléchi de la jeune femme évoque pour sa part le cadrage et la posture de tableaux consacrés, tels que Jeune fille dans le vent (1964) et La mort par un clair matin (1963), acquis par le Musée national des beaux-arts du Québec. Enfin, cette œuvre incarne parfaitement l’esprit de Vent de mer, toile datée de 1963 dans laquelle des vacanciers profitent d’un bain de soleil sur la plage. L’été, les Lemieux occupaient une maison de campagne à L’Isle-aux-Coudres, où le peintre se consacrait entièrement à son art.
Avec Nu sur fond bleu, Lemieux ajoute une pièce incontournable à son répertoire le plus prisé et réaffirme avec brio sa notoriété sur la scène internationale.
(A. Lafleur)