Ce redoutable tableau de Jean Paul Riopelle déploie sa composition charpentée et lumineuse dans un seul coup d’œil circulaire. Il y a dans cette composition un irrépressible élan, une ronde de joie qui entraîne le regard dans une mouvance unanime. Les coups de spatule semblent se tenir la main dans cette danse festive d’où jaillissent des couleurs étincelantes au milieu de contrastes absolus. Chaque glissement de matière concourt à l’harmonie naturelle de cette huile sur toile visionnaire, datée de 1958, qui illustre parfaitement le tournant amorcé par le peintre dans la deuxième moitié des années 1950. La régularité des mosaïques de 1953 et 1954 laisse ici la place à une gestualité plus farouche, toujours aussi audacieuse et affirmée, où le peintre cherche à maintenir en équilibre des coups de spatule fiévreux. Riopelle masse et sculpte la peinture pour faire place « à des ravinements, des ruptures, sans que le tableau ne soit réellement fractionné », observe Pierre Schneider. Avec Sans titre, il est évident que la spatule, et même le manche, sont mis à profit pour dessiner des crochets et des travées fluides dans les empâtements quasi aériens de la composition. Le sillage judicieux des bleus de cobalt et ultramarin, des rouges alizarine et des violets francs, des touches de vert pur et de terre d’ombre brûlée, embrasse chaque poussée de matière dans un rythme effréné. Un superbe tableau dont la vision perdure bien au-delà des instants passés à le contempler dans les moindres détails. Une révélation.
(A. Lafleur)