La figure et son double sont un motif récurrent dans l’œuvre de Jean Paul Lemieux, qui l’exploite autant pour son symbolisme que pour sa charge émotive. Dans Retour au village (vers 1975), le double apparaît subtilement entre les deux sujets en mouvement: d’abord la voiture, qui sert de point de fuite à la route enneigée, et ensuite le personnage du premier plan, vers lequel elle se dirige. Le personnage tronqué à la hauteur des épaules regarde droit devant lui: ses yeux brillent comme les phares allumés de la voiture dans un jeu de mimétisme fort réussi qui enclenche un récit grâce au dépouillement de la mise en scène. Le conducteur s’arrêtera-t-il pour le laisser monter? Le mystère règne dans ce tableau, chargé de songe et de lumière hivernale que le ciel charrie dans ses masses nuageuses superbement brossées – un ciel de neige qui paraît immense au-dessus de la voiture minuscule et des maisonnettes lointaines. Le calme avant la tempête.
Les éléments picturaux de ce tableau sont tout à fait emblématiques du répertoire de Lemieux, avec sa ligne d’horizon qui tangue, sa route rurale recouverte d’un tapis de neige, sa figure aux joues rouges emmitouflée dans un manteau de fourrure et coiffée d’un bonnet de laine. On retrouve les mêmes éléments dans de nombreux tableaux de Lemieux des décennies 1970 et 1980, notamment un paysage urbain et nocturne où une voiture aux phares allumés roule en direction d’un homme (Sans titre [La ville, la nuit], vers 1987), une route enneigée qui serpente à travers les montagnes avec deux promeneurs au premier plan (Enfants dans un paysage de montagne, 1980), puis le célèbre tableau Une maison à la campagne (vers 1973), dans lequel une jeune femme marche sur une route bordée de champs. Retour au village perpétue la tradition picturale et les grands thèmes abordés dans l’œuvre de Jean Paul Lemieux.