Alors qu’il est en congé sabbatique de l’École des beaux-arts de Québec, Jean Paul Lemieux obtient une bourse de la Société royale du Canada qui lui permet de s’établir en Bretagne et sur la Côte d’Azur avec son épouse, Madeleine, et leur fille, Anne, de septembre 1954 à septembre 1955. Peint au cours de l’été 1955 dans la ville méditerranéenne de Menton, surnommée « perle de la France », le tableau Madeleine et Anne incarne parfaitement l’esprit des lieux avec sa mer étale, sa plage dorée et sa lumière qui éclaire les personnages à contre-jour, au premier plan. La chevelure de ceux-ci conserve d’ailleurs le halo de ce rayonnement, ce qui traduit une harmonie avec la scène marine. Les portraits avec paysage ainsi esquissés en pochade annoncent à eux seuls la facture distinctive des tableaux subséquents, plus particulièrement ceux qui seront exécutés durant les années 1960. Notons que l’huile intitulée La leçon (v. 1955), manifestement influencée par les intérieurs d’Henri Matisse, reprend les mêmes figures, cette fois-ci attablées en maîtresse et élève devant une fenêtre ouverte qui donne sur la mer : un joli contrepoint au présent tableau.
La première moitié des années 1950 marque un tournant important dans la carrière de Jean Paul Lemieux, qui se distancie définitivement du peloton des Automatistes et des Plasticiens, résolu à puiser autant dans l’expressionnisme abstrait et la géométrie que dans la figuration pour tracer sa propre voie. « À l’aube de sa maturité, Lemieux favorise même un nouveau trialogue pictural qui lui permet de transiter entre le figuratif naturaliste, le figuratif moderne et l’abstrait, dans le but de spatialiser la figure et le paysage », écrit la conservatrice de l’art Marie Carani. Dans le même ordre d’idée, on retrouve dans le présent tableau les grands thèmes et motifs que Lemieux s’emploiera à approfondir toute sa vie, à savoir les figures iconiques au premier plan sur un fond d’horizon dépouillé, suivant un ordonnancement inépuisable de forme, de structure et de matière picturale.