Rita Letendre est née à Drummondville, en 1928, de parents abénakis et québécois. Elle vit à Toronto depuis 1969. La carrière de l’artiste débute dans les années 1950, après de brèves études à l’École des beaux‑arts de Montréal, qu’elle délaisse pour fréquenter le groupe des Automatistes. Avec eux, elle participe à l’exposition La matière chante (1954), ainsi qu’à Espace 55, au Musée des beaux‑arts de Montréal (1955). Elle remporte le Prix de la jeune peinture, en 1959, et le prix Rodolphe‑de‑Repentigny, en 1960. Un style plus distinctif émerge de son oeuvre au début des années 1960, lorsque l’échelle des figures prend de l’expansion sur la toile, que l’enchaînement des coups de spatule jette de l’huile et monte en flammes, générant des couleurs à la fois explosives et ténébreuses. L’artiste se distancie rapidement de l’approche picturale des signataires du Refus global, qu’elle juge trop restrictive, afin de plonger dans son répertoire personnel en quête d’une expressivité et d’une force spirituelle libre. Le geste et la matière offrent un cadre plus lyrique et expressif à ses oeuvres jusqu’en 1965, moment où son art est au « plus passionnel, plus agité, plus tragique », selon Letendre elle‑même, citée sur le site Internet du Musée des beaux‑arts du Canada. L’héritage de la culture abénakise se traduit chez l’artiste par un goût marqué pour les contrastes saisissants, où alternent les coloris vifs et profonds, les tonalités acidulées et minérales.
Letendre se fait démiurge de la peinture en plaçant le drame, l’intensité et l’énergie de la matière au centre d’une composition vibrante, où une certaine pureté rejoint un coeur battant la chamade. Avec L’espace d’un moment, exécutée en 1962, la peintre propose une vision, ou une apparition, qui paraît puiser dans ses origines ancestrales. Dans la tradition tribale et la spiritualité des Abénakis et des Wabanakis du Sud, le Gici Niwaskw est le « Grand Esprit », le Créateur. Il s’agit d’un « être bienveillant et abstrait qui n’interagit pas directement avec les humains. Comme chez d’autres tribus algonquines, le Grand Esprit des histoires abénakises est rarement personnifié, et les légendes orales ne lui assignent pas de sexe en particulier », écrit Dean Snow dans un article encyclopédique consacré aux Abénakis1. Toujours selon la légende, cet esprit bienveillant serait à l’origine de la création du monde, et dans certains récits, on raconte que ce dernier aurait rempli la terre de vie, de couleur et de lumière. Les masses noires sur fond ardent, en pleine rupture l’une de l’autre, un peu comme des plaques tectoniques en mouvement, laissent s’échapper comme d’un antre un faisceau de lumière féconde, déclinée en pigments lime, bleu ciel et lavande, présage d’une luxuriance à venir. Premier rayon à percer la toile, qui épousera un tout autre style dans l’oeuvre de Letendre durant les années subséquentes, plus près de celui des Plasticiens. Une huile sur toile qui se rapproche d’Atara (1963, collection du Musée des beaux‑arts du Canada), peinte lors d’un séjour en Israël, et qui reprend avec exactitude les motifs et couleurs explorés dans L’espace d’un moment, exception faite de l’éclat de lumière qui s’élève au‑dessus des masses, ajoutant une force spectrale à ce tableau magistral.
En 2010, Rita Letendre est reçue membre de l’Académie royale des arts du Canada et remporte le Prix du Gouverneur général du Canada en arts visuels et en arts médiatiques. En 2016, lui est décerné le Prix Paul‑Émile‑Borduas, et à l’été 2017, l’Art Gallery of Ontario lui consacre une rétrospective majeure intitulée Rita Letendre : Fire & Light.
(A. L.)