Trouvère, fine gouache peinte en 1951, réunit à elle seule la virtuosité plastique, les sujets fétiches et les influences iconoclastes de Jean Dallaire, peintre en marge des courants et des manifestes d’après‑guerre. Le trouvère est un jongleur et un poète qui s’exécute en langue d’oïl, à élever au rang des musiciens, des paysans et autres marginaux mis en scène chez Dallaire dans des décors champêtres ou flottant dans l’espace tacheté, typiques des oeuvres à la détrempe réalisées dès 1946. Le ménestrel semble ici poser pour le peintre, en contrapposto, le port de tête bien haut, inspiré par la pièce musicale qu’il chante la bouche grande ouverte, dévoilant des dents pointues à la manière de La Folle (1952). L’arrière‑plan crépusculaire et le croissant de lune, qui jette sa lumière argentée au pied du poète, ajoutent à l’ambiance lyrique de cette pièce évocatrice.
Tel que le note Michèle Grandbois dans son essai, « Dallaire est très sensible au vocabulaire plastique que Jean Lurçat1 applique à la tapisserie. Il s’en inspire pour l’organisation générale des surfaces qu’il surcharge de motifs décoratifs, empruntés sans pudeur. » Expression d’un langage métissé, Trouvère dispose d’un espace postcubiste aux plans rabattus (caisson de violon, tabouret, sol, etc.) pour installer son personnage tout droit sorti de la commedia dell’arte, costumé de la tête au pied comme un saltimbanque. OEuvre empreinte de sensibilité et de justesse, Trouvère occupe une place enviable dans le corpus du peintre.
De 1946 à 1952, Dallaire enseigne la peinture à l’École des beaux‑arts, à Québec, et expose au Cercle universitaire de Montréal et au Musée de la province de Québec. L’année 1951 est marquée par la réalisation de sa plus grande murale, intitulée Québec sous le Régime français, une commande de la compagnie d’assurances L’Industrielle. Toujours en 1951, il présente quatre oeuvres aux Concours artistiques de la province de Québec, dont Françoise lisant et Nature morte aux poissons, qui remportent le quatrième prix ex æquo.
(A. L.)