Artiste autodidacte, Jean McEwen délaisse rapidement les pinceaux et les spatules pour développer sa propre technique de peinture, qu’il applique uniquement avec ses doigts. Il procède par stratification des couches picturales – allant jusqu’à une douzaine de superpositions par tableau – afin de parvenir à une pâte diaprée, dense et en constante permutation avec les pellicules de pigments sous-jacentes. Sa rigueur formelle écarte la mesure et le calcul d’un découpage géométrique au profit d’une émergence organique de la composition par la seule greffe de couleurs en feuilletés successifs. De cette façon, le peintre s’inscrit dans une mouvance néo-plasticienne et s’inspire des courants esthétiques américains, notamment l’expressionnisme abstrait et le Color Field, influences qu’il s’approprie entièrement pour dénouer à sa manière la dualité entre la couleur et la structure. L’introduction de champs colorés soumis à une organisation spatiale rigoureuse et sérielle lui permet ainsi d’explorer le plein potentiel de la couleur et de la dynamique espace/plan.
Le début des années 1960 est marqué par Meurtrières, Grand fil à plomb et une série de tableaux qui donnent préséance à la verticalité et à une structure binaire. Odeur de jaune (1961) est ainsi scindée en deux camps, le gauche et le droit, subtilement asymétriques et labourés par une fine ligne de traverse médiane qui semble céder sous la pression des infiltrations de couleurs et de matières. Riches et onctueuses, les ombres cuivrées et les lumières rhizomatiques semblent tout avaler sur leur passage. Les variations de jaune s’expriment dans chaque coeur tonal, allant de la moutarde à la pêche mûre, du safran à la cannelle moulue, en passant par la terre de Sienne et d’ombre brûlée. McEwen semble établir une nouvelle grammaire chromatique capable de toutes les inflexions lyriques, créant une sensation de vibrato entre les masses.
Par un rare jeu de synesthésie emprunté à la poésie, le titre du tableau propose une piste de lecture à la fois olfactive et visuelle. Odeur de jaune constitue un tableau exemplaire du peintre qui, arrivé à sa pleine maturité artistique, fait à nouveau la démonstration irréfutable de son génie de coloriste.
Jean McEwen est considéré comme l’un des artistes canadiens les plus influents de sa génération. Ses oeuvres ont été présentées à maintes reprises dans des expositions individuelle et collective à Montréal, Québec, Toronto et New York. En 1973, le Musée d’art contemporain de Montréal lui a consacré une rétrospective, suivi par le Musée des beaux-arts de Montréal, en 1987. McEwen a reçu de nombreux prix et distinctions au cours de sa carrière, notamment la bourse Victor Martyn Lynch-Staunton du Conseil des arts du Canada, en 1977, et le prix Paul-Émile Borduas, en 1998.
Annie Lafleur