Au nombre des seize signataires du Refus Global (1948), Marcelle Ferron est une figure incontournable du mouvement des Automatistes. Avec sa longue et prolifique carrière artistique, tant au Canada qu’à l’étranger, elle est parvenue « à imposer une identité artistique inédite, basée à la fois sur la résistance et l’enracinement », écrit Louise Vigneault dans le catalogue de l’exposition Marcelle Ferron, une rétrospective, présentée au Musée d’art contemporain de Montréal en 2000.
En 1961, à la VIe Biennale de São Paulo, au Brésil, Marcelle Ferron fait partie de la délégation canadienne, aux côtés de Harold Town, de Ronald Bloore, d’Alex Colville et de Gordon Smith, sous le commissariat de Charles Comfort, alors directeur du Musée des beaux-arts du Canada. Ferron y expose six oeuvres, dont Ronqueralles (1960), qui, par sa taille et ses qualités plastiques indéniables, constitue la quintessence du corpus présenté. Plus encore, l’artiste se distingue alors de ses collègues – ainsi que des centaines d’artistes en arts visuels représentant plus de cinquante pays à la biennale – en remportant la médaille d’argent. Cette reconnaissance est la première à être attribuée à une femme peintre canadienne, propulsant Ferron aux premières loges de la peinture abstraite à l’étranger, aux côtés de ses principales représentantes.
Ronqueralles s’inscrit dans une période où l’artiste fait montre d’une grande assurance quant à son approche spatiale et son implacable gestualité, qui ne cessent de se réinventer avec caractère, maîtrise et sensibilité. Au tournant des années 1960, Ferron donne un élan et une puissance inégalés à ses larges coups de spatule qui juxtaposent des masses chargées de pigments texturés, des effets de contrepoint tantôt sombres, tantôt lumineux entre les couleurs dominées par les jaunes, les rouges et les bleus, ainsi que des empâtements plus épais qui s’entrechoquent, s’appellent et se disjoignent de façon quasi organique. Des trouées blanches se glissent habilement dans les « structures denses qui, auparavant, cachaient essentiellement l’arrière-plan, f[aisan]t maintenant place à un jeu complexe de plans qui remplissent l’espace », ainsi que le constate Réal Lussier, conservateur de la rétrospective consacrée à l’artiste au Musée d’art contemporain de Montréal.
La composition audacieuse du tableau, distribuée en une vaste croix traversée de plans dynamiques, se voit percée en son centre et de toutes parts par ces masses blanches en chute libre ou en glissement contenu, octroyant à la composition un souffle et une envolée particulièrement équilibrés. Corollairement, une lumière infuse le tableau dans ses moindres retranchements, contribuant à l’harmonie. Une certaine joie de vivre émane de cette oeuvre somptueuse, tel un rayonnement progressif et intarissable, « étrangement proche de la nature, comme si elle était née du cycle des saisons, avait absorbé la lumière estivale ou l’odeur automnale, ou avait été agitée par le grand vent », écrit l’historienne de l’art Herta Wescher.
La production artistique que signe Marcelle Ferron en 1960 est exceptionnellement marquante dans sa carrière. Plusieurs oeuvres de cette fournée se distinguent de manière significative, telles que le tableau intitulé São Paulo (130,5 x 195 cm), de la collection Power Corporation du Canada, Chande loup (100 x 81 cm), de la collection du Musée d’art contemporain de Montréal, ainsi que le très grand Sans titre (190 x 240 cm), pièce de la collection Peter Stuyvesant pendant près de cinquante ans, soit jusqu’en 2010. Ce tableau détient à ce jour le prix record lors d’une vente aux enchères pour cette artiste.
La présence de Ronqueralles sur le marché est une occasion unique de se procurer une oeuvre digne des plus grandes collections, grâce à son indéniable valeur tant historique que plastique.
Annie Lafleur