De 1946 à 1952, Dallaire enseigne la peinture à l’École des beaux-arts, à Québec, et expose au Cercle universitaire de Montréal et au Musée de la Province de Québec. L’année 1951 est marquée par la réalisation de sa plus grande murale, intitulée Québec sous le Régime français, une commande de la compagnie d’assurances L’Industrielle. Toujours en 1951, il présente quatre oeuvres aux Concours artistiques de la province de Québec, dont Françoise lisant et Nature morte aux poissons, qui remportent le quatrième prix ex æquo.
Peinte cette même année, La ferme incarne le summum du raffinement de la technique à la détrempe que Dallaire a développée au fil des années, avec des effets pointillistes et expressionnistes à la fois délicats et assumés. L’artiste opte ici pour une palette pastel, sans pour autant renoncer à des contrastes chromatiques complémentaires, vifs dans certaines zones du tableau. Une perspective isométrique des différents éléments du tableau ainsi que le recours à une vaste profondeur de champ permettent à l’oeil de circuler avec aisance entre les sujets. Qui plus est, résultat d’une composition audacieuse, la vache cyclopéenne occupe les trois quarts du tableau et prend une pose à la figura serpentinata – pose en spirale accentuée par les cornes et la queue –, laquelle est généralement attribuée aux figures humaines. Par ailleurs, cette pose, dont l’effet pyramidal habituel est ici inversé, permet également d’insister sur l’ossature arrière de la bête. Le fermier adopte pour sa part un léger contrapposto, laissant reposer le poids de son corps sur sa jambe droite, comme il se doit. Muni d’une serpe et d’une fourche, ce personnage semble se livrer à une pantomime ou jouer à l’épouvantail, le regard ébahi, habillé d’une salopette, d’un foulard et d’un chapeau de paille, posté au-devant de cette scène fantaisiste. L’oeil noir et éteint de l’animal chimérique, perché sur les épaules de la vache, suggère un esprit protecteur ou malin, voire une apparition. Œuvre forte et maîtrisée, La ferme occupe une place enviable dans le corpus du peintre. (A.L.)