C’est un tableau effronté, un pied de nez que fait Molinari aux premiers Automatistes, même si, au milieu des années 1950, ceux-ci commencent enfin à gagner la faveur du public. Molinari a rarement douté de lui-même, du moins publiquement, et Sans titre est à son image : bravache et sans détour. Le tableau est construit comme une courtepointe faite d’empâtements appliqués brusquement au couteau, sans finesse aucune. Sur la toile, la peinture est empilée explicitement, comme une chose tangible, et les couleurs sont pures et saturées. Les premiers visiteurs qui l’ont vu ont dû trouver ce tableau absolument saisissant, eux qui étaient habitués aux tons sourds qui dominaient alors les murs des galeries d’art contemporain.
Sans titre reflète le désenchantement grandissant de Molinari par rapport aux fondements de l’automatisme, notamment envers la palette atténuée caractéristique du mouvement, mais aussi envers les espaces oniriques évocateurs qu’il préconise, hérités du surréalisme. C’est particulièrement ceux-ci que Molinari critique dans son polémique L’Espace tachiste ou Situation de l’automatisme, publié en 1956. Dans cet article, Molinari laisse entendre qu’il est au courant des nouvelles tendances à New York et proclame la portée internationale de ses propres ambitions artistiques en s’insérant dans une lignée d’artistes comprenant Cézanne, Mondrian et Pollock. Ce sont ces artistes qui lui enseignent que le principal enjeu dans l’évolution de la peinture est la redéfinition de l’espace pictural. Pour que l’art demeure bien vivant et axé sur le progrès, il faut détruire toute trace d’illusion spatiale et exprimer explicitement ce que Molinari appelle le « plan dynamique » en faisant référence à la toile ou au panneau d’un tableau, soit le support même de l’oeuvre. Sans titre demeure une oeuvre aussi rafraîchissante et pertinente que si elle avait été peinte hier plutôt qu’il y a une soixantaine d’années.
Roald Nasgaard, O.C
Conservateur en chef du Musée des beaux-arts de l’Ontario de 1978 à 1993